Marché

Évolution de carrière des avocates : discrimination de genre ?

September 26, 2022

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Le marché des avocats est emprunt d’un fort intuitu personae. Le cabinet, plus encore que l’entreprise, est la somme d’individus qui incarnent son essence, ses valeurs et le travail qui en ressort. Ce qui compte en son sein, ce sont ses hommes et sa réputation.

Toutefois, toutes les personnes qui composent le cabinet ne sont pas logées à la même enseigne. Bien que l’on assiste à phénomène de féminisation de la profession et plus largement du secteur des professions juridiques, on constate un inversement de la tendance aux plus hauts postes. En effet, la profession est majoritairement composée de femmes et ce chiffre est en croissance perpétuelle. Or, plus on progresse dans les fonctions jusqu’à l’association, moins les femmes sont représentées, et notamment dans le monde du droit des affaires.

Dans une vision plus large de la société, en Europe en 2020, on compte 59% de femmes collaboratrices et seulement 21% d’associées. Le cœur du problème se trouve dans l’évolution qu'ont les femmes au sein des cabinets et non dans leur accès à la profession.

Dans le même temps, les inégalités fondées sur le genre ne diminuent pas :

Disparités de revenus

En début de carrière, le niveau de rétrocession est globalement équivalent entre les femmes et les hommes. À partir de la quatrième année d’exercice, l’écart se creuse. D’après des chiffres du CNBF en date de 2015, le revenu moyen des femmes avocates sur toute leur carrière en France est de 51% celui des hommes. Toutefois, ces disparités ne s’expliquent ni par un temps de travail plus faible des femmes, ni par le fait que les femmes investissent des domaines du droit moins rentables que les hommes

Manque de promotion

Les avocates ont un mode d’exercice tourné vers la collaboration. Bien qu’il est difficile d’avoir des chiffres très fiables sur le sujet, le cercle Montesquieu, en partenariat avec le magazine Décideurs, a mené une enquête pour déterminer la répartition des avocats en fonction de genre. Il ressort de cette étude qu’en 2013, les femmes représentaient 24,5% des associés, ce chiffre pouvant descendre autour de 10% au sein des grands cabinets d’affaires. Dans le même temps, le nombre de collaboratrices dans ces cabinets ne cesse de croître pour atteindre 60% des effectifs.

Agissements sexistes

En 2016, 1/5ème des litiges portés devant l’Ordre des avocats au sujet d’un contrat de collaboration était lié à la maternité. Ces chiffres officiels sont à prendre avec du recul et ne représentent pas la réalité du terrain. En effet, bon nombre des agissements de la sorte ne sont pas portés devant l’Ordre des avocats dès lors que de nombreuses femmes n’osent pas porter plainte auprès des autorités compétentes. De plus, la preuve de ce type d’agissements est difficile à rapporter. Marie Mercat-Bruns, s’interroge sur l’existence au sein des cabinets d’une discrimination systémique qui a la particularité de ne pas être toujours consciente de la part de celui qui l’opère. Cet auteur se base sur quatre facteurs pour définir cette discrimination systémique : “les stéréotypes et préjugés sociaux ; la ségrégation professionnelle dans la répartition des emplois entre catégories ; la sous-évaluation de certains emplois ; la recherche de la rentabilité économique à court terme”*. Par ailleurs, 83% des femmes interrogées dans le cadre d’une enquête réalisée par la Commission Egalité, Harcèlement et Discrimination du Barreau de Paris en 2013 estiment que la grossesse est un frein à l’association.

* Mercat-Bruns, L'identification de la discrimination systémique, Revue de droit du travail 2015 p.67

Certains cabinets commencent à prendre conscience de l’enjeu d’égalité et de parité. Des engagements à long terme sont pris :

- Clifford Chance a un objectif de 40% de femmes associées d’ici 2030

- Baker McKenzie s’est aussi fixé un objectif de 40% de femmes associées d’ici 2025.

Des départs en masse de la profession

30% des avocates quittent la profession avant 10 ans de carrière (pour les hommes: 20%). Elles se dirigent vers des postes en direction juridique.

Enjeu économique


Au-delà de l’enjeu social qui ressort d’une plus grande parité, faire en sorte que les avocates restent actives dans la profession relève d’un enjeu économique. En effet, une plus grande parité pourrait mener à 10% de dépenses supplémentaires de la part des clients d’après une étude menée par Thomson Reuters et Acritas, 2020.

La profession d’avocat ne prend pas assez en compte parité et inclusion. En somme, la diversité, notion qui regroupe l’orientation sexuelle, les convictions religieuses, l’origine sociale, éthnique ou générationnelle, est laissée pour compte.

Certains cabinets, de manière anecdotique encore aujourd'hui, se sont emparés du sujet en signant des engagements en interne. On constate surtout aujourd’hui une incitation importante de la part des clients.

Dans le secteur du venture capital et private equity, certains clients ont décidé d’intégrer dans les critères d’appels d’offre les politiques d’inclusion et de diversité au sein des équipes mises en œuvre par les entreprises partenaires.

A l’image de ce secteur, dans les cabinets d’avocats les choses commencent à changer avec la loi du business, et la pression instituée par les clients eux-mêmes. L’image et la réputation du  cabinet, en dépit de ses qualités techniques et professionnelles, deviennent des critères prioritaire dans le choix des partenaires. Les clients n’acceptent plus le manque d’inclusion et la mauvaise réputation.

Bien qu’il n’existe pas de chiffres officiels en France dès lors que la loi interdit le recueil de données faisant apparaître ces données sensibles, on constate toutefois un sentiment partagé d’entre-soi. La profession aujourd’hui ne valorise pas la diversité. Alors que les entreprises  ont du mal à évoluer sans une pression de la société, réglementaire ou pécuniaire, on constate un premier mouvement suite au désintéressement des clients dès lors que les normes d’inclusion ne sont pas respectées.  

Aborder le futur

Afin d’avancer vers plus d’égalité, il est nécessaire d’intégrer un management plus objectif des équipes. Cela commence par le fait de créer des grilles d'évaluation et des grilles de rétrocession qui se basent sur des critères pré établis, sur le parcours de l’avocat.

L’égalité doit devenir un pilier de la culture du cabinet. Il ne faut pas hésiter à  communiquer sur le sujet. Cela représente un  intérêt pour la rétention des talents, l’image de marque, l’image vis-à-vis des clients et prospects… Pour que cela fonctionne sur le long terme, cet état d’esprit doit être clairement défini, et doit être partagé par tous dans le cabinet (femmes, hommes, collaborateurs, associés, assistants…)  

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